Les débuts de la télévision


A cette époque le développement de la télévision en France est confidentiel, on ne compte pas plus de 300 postes, à la différence d'autres pays comme l'Angleterre. Une première expérience a eu lieu en 1937, mais on comprend que, dans ce contexte, la transmission d'images en direct entre les deux sites de l'exposition du Progrès social va constituer un événement exceptionnel.

Après une répétition le 13 juillet, c'est le défilé du 14 juillet à Lille qui sera diffusé entre Lille et Roubaix, pendant deux heures. Plusieurs téléviseurs sont installés au premier étage du pavillon du Nord au Parc Barbieux. L'écran est minuscule et la diffusion se fait en 455 lignes à 25 images par seconde.




« Le Progrès Social c'est avant tout l'Économie Sociale ». C'est en ces termes que le préfet du Nord ouvre la réunion constructive de l'exposition du Progrès Social. L'Économie Sociale avait été définie par le président de la République lors de l'Exposition universelle de 1900 comme « l'ensemble des efforts pour perfectionner la vie en société ».



Le 14 juillet 1939 une retransmission entre Lille et Roubaix

Cette exposition est organisée par l'Association des Maires du Nord et de l'Est, le Gouvernement ainsi que les conseils généraux des quatorze départements du nord et de l'est étant sollicités pour leur appui financier. C'est une première pour ce type d'exposition. Onze groupes composent l'exposition, dont le groupe VII relatif à l'organisation du travail et des loisirs. C'est dans ce groupe et dans la classe 2 (loisirs) que se trouvent, outre la phonographie et la radiophonie, la télévision.

La radiodiffusion est installée dans la partie droite du vestibule d'honneur du Palais Louis Pasteur. Un studio de radio de 32 m de long sur 16 de large et 10 de hauteur est prévu pour recevoir 200 musiciens et chanteurs et accueillir 260 places pour les amateurs d'audition musicales. Près de l'auditorium, la salle des exposants de TSF présente les dernières nouveautés. Une partie de l'exposition est exclusivement réservée à la télévision.

L'ARN, dans sa revue mensuelle, en décrit l'installation :
« Ils pourront assister à tous les spectacles de la transmission la plus moderne de l'image : 455 lignes et 25 images entrelacées par seconde. À gauche, la cabine de télécinéma, avec son projecteur et son iconoscope, puis la salle des amplificateurs, le théâtre de prises de vues directes, avec sa grande scène, sa petite scène, son artillerie de projecteurs à grande puissance, les artistes jouant des opérettes, des comédies, chantant, dansant, puis la cabine du son, et enfin toute une galerie de récepteurs individuels qui fidèlement, brillamment, reproduiront les scènes télévisées, soit dans le studio, soit à l'extérieur du Pavillon Pasteur, soit des films du commerce ou ceux que le service des reportages aura tourné à Lille et Roubaix.

« Après la galerie des téléviseurs, pourront être admirés tous les organes d'un grand émetteur moderne de télévision. Et les visiteurs sortiront tout à proximité du pylône d'antennes qui, pour la première fois dans le Nord, lancera dans l'éther ces ondes mystérieuses, grâce auxquelles la vision est devenue possible à distance ; grâce auxquelles, par exemple, chacun pourra recevoir chez soi des actualités de la vie présente, des films aimés, pleins de drame ou de gaieté et les documentaires les plus instructifs.

« À Roubaix, une galerie de récepteurs sera installée au premier étage du pavillon du nord... Ainsi pourront s'échanger, par ce merveilleux moyen, les visions des scènes qui se dérouleront dans l'une ou l'autre enceinte des villes de Lille et de Roubaix ».

Ce qui intéresse le public, ce n'est pas tant le côté émission que le côté réception. À cette époque, un récepteur de télévision de série est rare et son prix élevé. D'autre part, le devenir de cette station de démonstration n'est pas arrêté. Les conditions d'émission sont d'ailleurs particulières. Seule la partie image est diffusée, la partie son est envoyée à Roubaix par fil, afin de ne pas immobiliser Radio PTT Nord ou d'imposer l'installation d'une station supplémentaire.



Georges Thibaut Téléreporter


Jules Julien, le ministre des PTT en fonction à cette époque, inaugure l'émetteur de télévision de Lille. Le premier reportage télévisé à Lille a lieu lors de la cérémonie du 14 juillet 1939. Cette revue se déroule devant le Palais Louis Pasteur à quelques mètres du studio et de l'émetteur de télévision.




Le 13, des essais de prises de vue en plein air donnent des résultats si concluants que la diffusion de la cérémonie du lendemain est décidée séance tenante. C'est le nouveau président de l'ARN, Georges Thibaut d'Haubourdin qui commente le spectacle qui se déroule sur les écrans durant deux heures. Pendant ce temps, les spectateurs se pressent au pavillon du Nord à Roubaix pour suivre l'événement sur le petit écran.

C'est ce que relate Georges Thibaut :
« Tout d'abord, j’étais un peu inquiet, car il ne s'agissait pas d'un radioreportage habituel. En effet, dans un reportage auditif, le reporter doit s'efforcer de suggérer à l'auditeur ce qu'il entend sans voir, tandis qu'en télévision le spectateur voit et entend. Il est donc nécessaire de commenter ce que le spectateur perçoit par l'œil et l'oreille et de lui donner des indications précises sur le spectacle qui se déroule sous ses yeux.
« C'est le rôle du commentateur de cinéma d'actualités ou si l'on préfère celui d'un conférencier projectionniste. Il fallait surtout ne jamais oublier qu'il s'agissait de télévision et éviter soigneusement de décrire le spectacle.
« Je me suis donc borné durant toute la cérémonie à donner des précisions sur ce qui passait à l'écran : cérémonial de la remise des décorations, explications des différentes sonneries présentation des personnalités occupant la tribune, informations et renseignements sur les matériels qui défilaient et sur leur emploi, etc.
« Ajoutons quelques notes sur les couleurs, la télévision étant pour le moment monochrome. En résumé je me suis efforcé de placer des légendes sous les tableaux soumis aux spectateurs. Telle a été ma modeste part dans cette innovation ».
Devant ce succès les responsables de l'ARN émettent le vœu que l'installation en exploitation soit complétée et reste à Lille ; les autorités municipales acceptant l'utilisation du Beffroi de Lille pour ce projet. Fin juin, les studios parisiens ferment pour congés annuels.


Iconographie : Revue Radio PTT Nord et Les Cahiers de la FNARH n°105, 2007



Article du Journal de Roubaix le vendredi 14 juillet 1939


Dans les allées du Parc Barbieux à Roubaix, de gauche à droite : MM. Debry, directeur régional des P.T.T. ;  Mahieu, Favières, Julien, Dupré, Carles et Lafont de Santenac.

La télévision est sans conteste la plus grande attraction de l'Exposition du Progrès social. Il suffit, pour s'en convaincre de voir la foule s'écraser à l'entrée du palais Louis-Pasteur, à Lille, depuis l'ouverture, et au pavillon du Nord du Centre régional de Roubaix depuis qu'on a installé des appareils récepteurs de télévision et de télécinéma. Pour la mise en application officielle de cette quasi nouveauté dans notre région, ce n’était pas trop du ministre des P. T. T.

Monsieur Jules Jullien, ministre des P.T.T. trouva dans le caractère technique d’une telle inauguration une raison d’échapper à la consigne de M. Daladier qui demanda, on le sait, à ses ministres de ne pas se déplacer pendant quinze Jours. M. Jullien est donc arrivé par la route jeudi, vers 11 h., à la préfecture du Nord, où il fut aimablement accueilli par Mme et M. Carles, préfet, entouré de ses collaborateurs. MM. Poitevin, secrétaire général du Nord : Lafont de Sautenac, chef da cabinet et Cazagne, chargé des services de Sûreté de la résidence générale de Tunis. Le ministre était accompagné de M Laser, attaché à son cabinet. De nombreuses personnalités assistaient a cette réception : MM. le général Doumene, membre du Conseil supérieur de la guerre ; Mahieu, président du Comité de l'Exposition ; Masson, président du Tribunal de commerce de Lille ; Debeyre président du Conseil de gérance de Radio P.T.T. Nord ; Debry, directeur régional des P.T T. ; Dauvin, ingénieur en chef des P.T.T.. etc..

La réception fut courte et simple. Le ministre se rendit ensuite à l'Exposition où il fut reçu par M. Mahieu, dans le hall d'honneur où s'étaient rassemblées de nombreuses personnes parmi lesquelles : MM. Faviéres. adjoint au maire de Lille ; Plouviet, président de la Classe de télécommunication ; le chanoine Detrez, président du Groupe « lettres sciences et arts » ; F. David, vice-président du Conseil de gérance de Radio P.T.T. Nord, et plusieurs de ses collègues ; Thébaut, président de l'Association de radiophonie du Nord ; Catrice, président et Lafouge, secrétaire général de « Radio-Famille » ; Nanin, secrétaire général de la 1ère Région économique ; Hériart. directeur de l'Exposition ; Vancauwenberghe. maire de Lambersart ; Mallein, ingénieur de la télévision au ministère des P.T.T. ; Buisson, président du Syndicat des radio-électriciens ; Le Masson, vice-président de l'Association professionnelle des Journalistes du Nord, etc..

M. Mahieu définit une fois de plus pour le ministre des P.T.T., les buts de l'Exposition. Puis il souligna le mérite de M. Léon Plouviet et de ses collaborateurs qui ont rassemblé les dernières applications des sciences électriques et radioélectriques, aménagé notamment le poste émetteur dont la haute antenne lance jusqu'à Roubaix les ondes porteuses d'images. Enfin, il remercie le ministre et son administration des concours qu'ils ont donnés à l'Exposition.

Le discours du ministre

M. Jullien, rendit a son tour hommage à l'activité de M. Mahieu.
« Nos progrès réalisés en matière de télévision nous permettent de soutenir la concurrence avec les autres pays, malgré la médiocrité de notre budget.

« Notre technique est au point. Les industriels sont prêts. J'espère que le gouvernement français sera en mesure de développer sans tarder notre télévision afin d'en faire l'heureuse rivale des télévisions étrangères. Le ministre termine en rendant hommage aux techniciens, aux chercheurs et aux industriels français. M. Faviéres prononça ensuite quelques mots pour souligner que l'Exposition était le magnifique témoin de l'esprit d'invention et de l'esprit scientifique.

Au palais Louis-Pasteur

Le ministre se dirigea alors vers les installations des télécommunications dans le palais Louis-Pasteur. M. Plouviet lui fit les honneurs du studio de radiodiffusion où une danseuse accompagnée par une musique de rêve se produisit sous l'éclairage de la lumière noire. Dans les stands, le ministre fit quelques pauses, puis, au poste émetteur de télévision, il entendit une adresse d'accueil de la bouche de Mme Yvonne Nys. Sans crainte de fondre sous la chaleur élevée dégagée par les projecteurs, M. Jullien se soumit de bonne grâce aux exigences de la caméra et l'on put voir son image souriante sur l'écran des appareils récepteurs.

Ayant prononcé quelques mots. M. Jullien céda sa place à Line Dariel, dont le patois parut fort l'amuser. Au déjeuner que M. Jullien présida ensuite au restaurant des Nations, les convives eurent la surprise d'une attraction imprévue : la répétition par les troupes de la revue du 14 Juillet qui se déroulera ce matin à l'Exposition.

La réception du ministre au pavillon du Nord du Centre régional

Le ministre accompagné de sa suite et de MM. Carles, préfet du Nord, et Mahieu, fut accueilli à l'entrée du Centre régional par M. Léandre Dupré, député, adjoint au maire de Roubaix, qui lui fit les honneurs du Pavillon du Nord. M. Dupré excusa l'absence de M. Lebas, empêché, et adressa des souhaits de bienvenue à M. Jules Jullien. Il rendit ensuite hommage aux populations du Nord, particulièrement éprouvées pendant la guerre et dont l'Exposition du Progrès social magnifie admirablement les qualités d'énergie et de travail. En terminant, le député du Nord affirma au ministre que « Roubaix était la ville où l'on meurt le moins » et formula le souhait que M. Jules Jullien préside longtemps encore aux destinées de la radiodiffusion française. Dans sa réponse, M. Jullien adressa des remerciements à M. Dupré pour l'accueil qui lui était réservé à Roubaix. Il se réjouit de ce que les saines et laborieuses populations de Roubaix eussent un parc Barbieux aussi magnifique à leur disposition après leurs rudes journées de travail. Enfin, il se dit heureux de pouvoir admirer à Lille e t à Roubaix cette magnifique réalisation qu’est la télévision. Les personnalités se rendirent ensuite dans la salle de réception de télévision au premier étage, et, de la, au « Cabaret » où fut sablé le Champagne. Après quoi le ministre et sa suite regagnèrent Lille.