L'Illustration du 5 août 1939

L'EXPOSITION DU PROGRES SOCIAL A LILLE ET A ROUBAIX

    L’Exposition du progrès social, organisée à Lille et à Roubaix sous le patronage de l’Association des maires du Nord et de l'Est avec le concours vigilant de quatorze conseils généraux des régions libérées et recouvrées, témoigne d'un beau courage à plus d'un titre. Il était en effet osé d'entreprendre une œuvre de longue haleine et d'un tel ordre dans une période aussi troublée. En outre, le choix du thème à traiter spectaculairement était une hardiesse nouvelle. S'il est quelque chose qui ne parle pas à l'esprit, n'évoque aucune image plaisante, c'est le progrès social. Sans doute, celui-ci, de par son énoncé même, apparaît comme un probant exemple d'un état civilisateur en voie de perfectionnement. Mais cet état est davantage, si l'on ose dire, d'ordre moral que d'ordre matériel.

 

    C'est dire que l'Exposition du progrès social de Lille et de Roubaix pourrait, au premier abord, décevoir tous ceux qui s’attendraient à y trouver ne serait-ce qu’un reflet de l'Exposition de 1937. Impression fausse et cependant presque inévitable en raison du caractère étroitement documentaire et, par cela même, un peu sec de l'entreprise.

    

    Toutefois est-ce à dire qu'une telle Exposition est dénuée d'intérêt ? Bien au contraire. Elle constitue dans certaines de ses parties un centre précieux d'enseignement et d'information. Elle apparaît comme une synthèse ouverte aux gens d'étude. Elle est bien à l’image de cette rude et belle race du Nord pour qui la réalité compte seule, qui se nourrit exclusivement de la leçon des faits et ne s'en laisse pas imposer par les débordements de l‘imagination ou de la fantaisie. Être sérieux d'abord !

 

    Faute d'emplacement assez vaste, les organisateurs ont dû partager l’Exposition en deux tronçons : à Lille, là où se tenait la foire commerciale, sont groupées toutes les présentations plus directement relatives au progrès social proprement dit ; à Roubaix un centre régional des départements du Nord et de l’Est a été édifié. Cette dispersion et cette division ont plus de charme que d’inconvénient.


La section lilloise s’étend sur quelque 22 hectares. Un grand signal métallique de 45 mètres de hauteur décore la porte d’honneur, laquelle s'ouvre sur une monumentale construction, le palais du Travail. Ce palais enferme dans son enceinte toute une gamme de petites expositions secondaires, mais on y observe aussi maints témoignages de l'activité de la grosse industrie du Nord et de l'Est, qui relèvent d’ailleurs plus de progrès technique que de progrès social. Ainsi en est-il encore de la rétrospective de l'art, de la musique, du livre et des défilés de mannequins.

 

Poursuivons notre visite. Dans un des grands halls de la foire commerciale est installée la galerie des réalisations sociales et municipales du Nord et de l'Est. Ici nous sommes au cœur du sujet. Une suite de panneaux coloriés et parfois très artistement décorés enseignent, ville par ville, tout ce qui est acquis dans l'ordre du progrès social. Les cités du Nord et de l’Est ont accompli dans ce domaine un effort prodigieux : dans un concours entre villes françaises elles totaliseraient bon nombre de place d’honneur.


Seulement on peut regretter qu'un enseignement aussi riche ne soit pas traduit d'une manière moins sèche. L'écueil n'était pas inévitable, et la participation allemande nous en offre le témoignage. Tout en obéissant à la consigne de traiter exclusivement le progrès social, celle-ci a réussi à noyer le caractère ingrat du sujet derrière un aspect spectaculaire et décoratif d’une très grande simplicité. En veut-on un exemple ? L’Allemagne entreprend de démontrer que le nombre d'enfants que ses organismes sociaux envoient annuellement au grand air formeraient un défilé, en colonnes par quatre, couvrant la distance de Paris à Marseille. Petit problème qu'elle résout ainsi : sur un plateau se découpe à un bout une tour Eiffel et à l'autre bout la gare Saint-Charles ; entre les deux se développe, en rangs de quatre un cortège de cent trente-deux petits angelots faits en bois de Thuringe, façonnés à la main, coloriés en toutes teintes. Ce n'est rien et c'est tout. L’élément chiffré fait penser, mais les angelots captivent l'attention et confèrent à la démonstration une valeur nouvelle d'un caractère gai et plaisant. Cela relève peut-être de l'art de l'étalage. Mais qu'est-ce au fond qu'une exposition, sinon un immense étalage !

 

Au demeurant, les organisateurs lillois ont apprécié le risque, car, fort habilement, ils ont égayé d'une note fraîche l'aridité quasi forcée de leur démonstration. Presque au milieu de l'Exposition, un délicieux et reposant village du Nord, que domine le traditionnel beffroi, se laisse découvrir. L'architecture en est simple et délicate. Une église miniature, dont les cloches doivent rendre le son grêle d’une clochette d'enfant de chœur, accueille les fidèles. Une ferme modèle offre son étable, dans laquelle un groupe de belles vaches laitières, le cou à l’aise dans des colliers métalliques, boivent dans des bols individuels une eau toujours fraîche, dont la pesée de leurs mufles suffit à déclencher la venue. Dans un bassin de poupée, des canards s’ébrouent. Jolie leçon d’hygiène matérielle, suggestive d’autant d’hygiène morale, et donc de progrès social que celle-là ! C’est sur une telle note qu’il convient de terminer la visite de la section lilloise, section d’étude et d’enseignement au premier chef.


Entre Lille et Roubaix, l'opposition est flagrante. A Lille, tout vise à susciter la réflexion et à provoquer le jugement, même au prix d'un effort. A Roubaix, tout concours à créer des images agréables et à retenir le regard. Il n'est plus guère question - sauf toutefois dans le pavillon du Pas-de-Calais - du progrès social. La manifestation est essentiellement architecturale, touristique et même gastronomique. Chaque pavillon est un témoignage d'architecture régionale, et il faut convenir qu'à cet égard la réussite est presque parfaite malgré le caractère parfois commercialisé de cette section.

 

Mais quel pouvoir de séduction que celui de ce parc Barbieux, orgueil de Roubaix, qui, sur ses pelouses, sur les bords de son lac, dans les replis de ses frondaisons, abrite les délicates constructions du Centre régional. Comme l’on comprend qu'un tel cadre ait inspiré les architectes au point de leur permettre le tour de force de ne pas déparer cet idyllique décor naturel ! Car tout est à louer à ce sujet. Dès l’entrée monumentale en gradins, décorée de plans d'eau successifs, le regard est charmé. Il n'est ensuite que de marcher à l'aventure et l'on va de découverte en découverte. Sans s’en apercevoir, on passe de département en département, du Nord au pavillon d'allure noble, aux Vosges, dont la maison de bois recèle des senteurs de sapin. Plus loin, Seine-et-Marne vous accueille par une façade d'un harmonieux classicisme, cependant qu’à flanc d’un coteau en réduction la Meuse dresse de paysannes tourelles rondes. Aussi loin du lac que possible, à même une pelouse, le Pas-de-Calais affirme néanmoins son caractère maritime par deux ancres de chalutier placées de part et d’autre de son seuil. Mais quelle est charmante et intelligente, la décoration intérieure de ce petit pavillon miniature qui ne comporte qu'une unique salle ! Pas d'encombrement, mais une synthèse attractive de l'activité du département. Des fresques d'une heureuse venue opposent symboliquement le pas de Calais – le détroit – à l’époque de la préhistoire et à l’époque d’aujourd’hui : l’allégorie fait son œuvre. Des dizaines de petits vitraux multicolores évoquent toutes les conquêtes de l’homme au travail, depuis l’humble marteau jusqu’à la turbine et à l’hélice. Deux grandes colonnes de bois, ceinturées de cordages à leur base et semblable à des mâts, semblent porter la charpente de la toiture. De frêles et magnifiques dentelles accompagnent des dioramas industriels tandis qu’une pyramide de conserves de poisson semble le produit de la pêche d’un chalutier jouet dont le chalut traîne sur le fond d’une mer en carton-pâte.


Passons sous silence, tant pour Lille que pour Roubaix, les attractions, les jeux de théâtre d’eau, les fêtes de nuit et les distractions de toute espèce. Ce n'est là, en effet, qu’un domaine commun et nécessaire à toutes les manifestations d'ensemble de cette nature. Mais retenons essentiellement comme un acte d’orgueil et de foi dans le destin régional l’organisation d’une Exposition d'une telle ampleur. Trop rares sont les tentatives de décentralisation pour ne pas apprécier comme il convient l'effort lillois et roubaisien. Trop fréquents sont enfin les excès de particularisme pour ne pas voir dans l'union des corps élus municipaux et départementaux du Nord et de l'Est un témoignage vivant de cette union nationale si magnifiquement attestée le mois passé. 


R. Chenevier






La petite église du village du Centre rural
M. Alleman, architecte - Photo Borremans
L'Illustration du 5 août 1939

Les Pavillons Départementaux à l'Exposition de Roubaix

Photographies " L'Illustration "


Le pavillon du Nord (M. Gaillard, architecte)


Le pavillon de l'Oise (M. Daboval, architecte)


La Seine et Marne (M. Verdeaux, architecte)


La Moselle (M. Le Chevalier, architecte)


La Marne (M. Beaumet, architecte)


La Meuse (MM. Calley et Delangle, architectes)


Le Pas-de-Calais, vue extérieure (M. Quételart, architecte)


Le Pas-de-Calais, vue intérieure (M. Quételart, architecte)

A L'EXPOSITION DE LILLE

Photographies " L'Illustration "


La grande avenue de l'Exposition : à gauche, le palais des Nations (M. Condamin, architecte) ; au fond, le beffroi de la halle du Centre rural (M. Cockempot, architecte)


La galerie des réalisations sociales et municipales du Nord et de l'Est